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Par Liza Pivert
4 mai · 7 mn à lire
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Quand le safran nous est conté, çà donne çà 🥃 La potion du bien-être

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3 km, tu n’auras qu’à parcourir 3 km à pieds jusqu’à la sortie de notre belle ville d’Ispahan. Et lorsque tu sortiras par la porte située à l’Ouest, tu trouveras un présent que j’ai caché pour toi sous un fagot de branchages au pied du bosquet de peupliers, tout près des remparts.

3 km mon bon prince, juste 3 km... répétait à l’envi ce petit homme tout rabougri, portant un drôle de turban coloré avec une plume d’aigle plantée en son milieu et fixée d’une façon si approximative qu’elle semblait sur le point de tomber à chaque fois que l’étrange bonhomme dodelinait de la tête pour essayer de le convaincre.

Le drôle n’arrêtait pas de gesticuler, de tournicoter autour de lui, de le saouler de son flot de paroles incessantes, tant et si bien qu’après avoir vainement essayé de le semer à travers les ruelles encombrées du bazar d’Ispahan, le jeune padishah s’arrêta tout net pour écouter ce que le vieil original avait tenté de lui dire depuis tout ce temps.

Il faut dire que l’énergumène avait réussi à piquer sa curiosité. Car comment avait-il reconnu le jeune prince qui aimait à sortir incognito, sans aucun garde pour l’accompagner.

Habituellement il avait comme complice d’escapade, hors du palais, sa soeur jumelle, la princesse, et leurs rires résonnaient dans les ruelles jusqu’aux heures tardives du retour au bercail.

Mais l’adolescente se languissait depuis peu d’un mal mystérieux qui la rendait continuellement mélancolique. Toute envie de distraction et de compagnie l’avait quittée et elle préférait demeurer de longues heures seules plutôt que l’accompagner dans ses sorties.

C’est pourtant un banal évènement qui avait déclenché cet état: la disparition de son animal de compagnie, un superbe matou Persan aux poils doux et soyeux, parti déjà depuis plusieurs mois et faisant certainement le bonheur de celui ou celle qui l’avait recueilli, tant l’animal était affectueux.

Leurs parents lui en avait pourtant offert un autre, tout aussi adorable, mais rien n’y faisait, elle semblait inconsolable et le jeune prince intrépide qui adorait sa soeur aurait tout fait pour qu’elle retrouve enfin sa joie de vivre.

C’est pourquoi, lorsque le petit homme répéta encore une fois 3 km juste 3 km à parcourir, ce n’est pas si long pour aider ta soeur, le jeune padishah tout intrigué lui accorda alors toute son attention.

-De quoi me parles tu mon ami? Quel est ce présent? Et pourquoi l’avoir caché si loin si tu comptes me l’offrir?

Mais dans le même temps où le prince prononçait ces paroles, Pfffiout, le petit homme disparut d’un coup comme par enchantement au beau milieu du bazar d’Ispahan et le prince se demanda s’il n’avait pas rêvé debout et si cette rencontre avait été bien réelle.

Pour en avoir le coeur net, il se dirigea à toutes bardes vers la porte Ouest des remparts. Il n’y avait pas âme qui vive à ce moment là dans cette partie de la ville et, dans cet endroit désert, il aperçut effectivement les 4 grands peupliers.

Sans plus tarder il souleva une à une les branchettes feuillues entassées au pied d’un des grands arbres et qu’elle ne fut pas sa surprise de découvrir un splendide tapis lamé d’argent, le tapis le plus beau qu’il n’eut jamais vu.

Voilà donc l’objet idéal qui manquait pour que je fasse un bon petit somme sous ces vénérables peupliers se dit-il en déroulant le tapis, mais comment ce tapis, aussi magnifique qu’il soit, pourrait-il rendre à ma soeur sa joie de vivre, se demanda -t-il ?

Tout en murmurant ses pensées quasi à voix haute le padishah s’assit sur le précieux tapis qui se mit à bouger, d’abord tout doucement en évitant légèrement, puis lorsque le jeune prince eut saisi fermement les bords du tapis, ce dernier s’éleva haut si haut que bientôt la ville d’Ispahan ne fût plus qu’un petit carré coloré et les nuages autour de lui ne permettait plus au jeune homme de voir où ce tapis, qui filait à toute allure, l’emmenait.

Une chose était certaine, le tapis se dirigeait vers l’Ouest car déjà il apercevait les Monts Zagros puis la montagne des chameaux ainsi nommée en raison de sa forme étalée avec 8 sommets faisant penser à une caravane de chameaux.

Tout doucement le tapis se mis à redescendre lorsqu’ils eurent dépassé les hautes montagnes.

Il avait déjà entendu parler de la verte région du Lorestan par delà les montagnes aux confins de la province d’Ispahan, mais jamais il n’aurait imaginé s’y rendre et surtout pas en tapis volant !

Au fur et à mesure que le tapis descendait, il apercevait les plaines et les forêts. Tour à tour un aigle royal et un faucon frôlèrent son tapis comme pour lui souhaiter la bienvenue dans leur contrée.

Plus bas, à mesure qu’il se rapprochait du sol, il commençait à discerner plus précisément les différents arbres, et son tapis vint tout doucement se poser sur le sol dans une petite clairière.

Le padishah fit alors quelques pas en chancelant, puis il s’affala s’adossant à un tamaris pour reprendre ses esprits, encore tout éberlué de l’aventure aérienne qu’il venait de vivre.

Mais il n’était pas au bout de ses surprises car devant lui s’étendaient à perte de vue des tapis de petites fleurs inconnues mauves pâles recouvrant le sol et embaumant l’air d’une note suave, chaude, presque amère, une odeur qu’il n’avait jamais sentie jusqu’alors et infiniment agréable.

A y regarder de plus près, l’intérieur des délicates fleurs dévoilait, au coeur des pétales, des petits filaments rouges, conférant à la fleur une grâce incomparable.

Ce parfum délicieux qui s’empressait dans ses narines et ce tourbillon de douce couleur violette, dans la volupté du paysage de montagnes environnantes, firent un instant perdre ses repères au jeune souverain.

C’est alors qu’il l’entendit avant de la voir : un très léger vrombissement comme celui d’un bourdon, entrecoupé de petits cliquetis comme le feraient deux sabres qui se croisent sans cesser et qui lui firent tourner la tête à la recherche de l’insecte bruyant.

BZZZZCLICCLICCLICCLICCLICBZZZCLICCLICCLIC.

Pétrifié, interdit, il regardait cette grande porte dressée au milieu de la montagne.

Comment ne l’avait-il pas vu lorsque le tapis s’était posé? Elle faisait au moins 3 mètres de haut sur 2 mètres de large.

On aurait dit une sorte d’arc en ciel rectangulaire en forme de porte. Sa couleur elle - même était indéfinissable tant cette arche miroitait comme mille soieries sous les lumières des bougies.

Il faut dire que les rayons du soleil couchant baignaient la clairière d’une lumière quasi-irréelle.

A mesure qu’il s’approchait, subjugué devant l’étrange portique, il avait la certitude profonde qu’il allait découvrir des choses extraordinaires en franchissant cette porte.

C’est donc sans aucune crainte et avec une grande sérénité qu’il avança.

-J’y vais, lança -t-il d’une voix exaltée et d’un bond il franchit l’étrange porte ouverte.

Ce qui le surprit tout d’abord ce fût cette très grande clarté et la couleur de la pièce où il avait été projeté.

Tout était blanc dans cet étrange endroit; des parois des murs aux longues tables installées çà et là en alignements bien ordonnés, tout ici était d’un blanc immaculé.

Quant aux ouvertures, elles étaient, oh quelle surprise, protégées par un étrange matériau rigide et transparent, à travers duquel il pouvait voir le paysage avoisinant.

Il n’en croyait pas ses yeux et ne trouvait aucun qualificatif pour décrire ce qu’il voyait tant tout ce qu’il contemplait à présent lui était inconnu.

Ce que le padishah ne savait pas c’est qu’à travers le portail il venait de faire un bon dans le temps de près de 2500 ans, le projetant dans un laboratoire hyper moderne du XXI ème siècle.

-Mais où suis -je donc se demanda alors le padishah à haute voix ?

Tandis qu’il prononçait ces mots une femme entra dans la pièce et le dévisagea avec surprise.

-Racontez moi Monsieur comment vous vous êtes retrouvé ici au beau milieu de notre laboratoire, lui demanda - t - elle alors sur un ton peu amène.

Le padishah lui raconta donc toute son histoire depuis sa rencontre avec le mystérieux petit homme et son tapis volant, jusqu’à sa découverte des étendues de fleurs mauves inconnues et enfin son passage à travers le portique.

Après l’avoir longuement écouté d’un air stupéfait, la femme prit alors la parole.

-Vous êtes dans un endroit que nous nommons laboratoire.

C’est un lieu où des personnes font des recherches pour faire progresser la science. Tout ceci doit vous sembler bien étrange car nous ne sommes pas de la même époque voyez vous. Depuis 2500 ans l’humanité a progressé dans ses connaissances, et depuis tout ce temps nous avons fait des découvertes extraordinaires et surprenantes.

C’est ainsi que nous savons aujourd’hui qu’il y a des plantes qui ont des propriétés de guérison car elles contiennent des ingrédients actifs.

Ces molécules sont extraites des plantes en infusant celles-ci dans de l’eau à 80°C, pardon je suis confuse, dans de l’eau brûlante comme celle que vous obtenez lorsque vous chauffez de l’eau dans un récipient sur des braises, se reprit-elle alors, consciente que son interlocuteur n’avait jamais entendu parler des degrés Celsius.

Et les fleurs violettes, que vous me décrivez, sont une variété de crocus qui fournissent le safran.

Si vous détachez les délicats filaments rouge orangé qui sont les pistils de la fleur, et que vous les laissez ensuite bien sécher, vous pourrez alors les conserver en toutes saisons et préparer une délicieuse boisson qui empliera de bonne humeur ceux qui la dégusteront.

Le padishah était à son tour stupéfait et ne comprenait rien aux explications de la scientifique.

Comment était-ce possible qu’il y ait des choses qu’il ne voyait pas, mais qui seraient pourtant contenues dans une fleur, et lorsqu’il mettrait une partie de cette fleur dans de l’eau chaude alors ce qui était invisible passerait dans l’eau et aurait des propriétés de guérison?

La femme compléta alors ses explications en se lançant dans un charabia scientifique pour décrire les choses invisibles qu’elle appelait des molécules actives, et lui expliqua que la crocine et les dérivés polyphénoliques étaient les composants actifs qui allaient pouvoir transformer de l’eau chaude en potion du bien-être !!!

-Incorporez chaque jour 15 pistils dans de l’eau chaude mais non frémissante, continuait- t- elle, laissez la refroidir pendant 15 minutes et chaque personne qui boira ce breuvage retrouvera le bien-être et une grande sérénité.

A présent il est temps de retraverser le portail, remonter sur votre tapis volant et retourner dans votre palais.

Ainsi fût fait, le padishah repartit par le même chemin qu’à l’aller tout en récupérant auparavant quelques fleurs avec leurs bulbes pour les cultiver autour de son palais, dans la plaine autour d’Ispahan.

Et c’est ainsi que la soeur du prince retrouva, grâce à cette potion du bien-être, son sourire et sa joie.

Mais cet étonnant récit ne se termine pas là car bientôt tout Ispahan parla de l’incroyable aventure du jeune padishah.

Chacun, chacune la raconta à ses amis, à son voisin ou à sa voisine, ou encore au marchand de passage qui s’en allait vers des contrées lointaines.

Ce qui fait, qu’en moins de temps qu’il n’eût fallu pour le dire, la nouvelle fusa bien vite des faubourgs d’Ispahan jusqu’aux confins de la Perse et même bien au delà de celle-ci.

Alors des centaines de voyageurs botanistes des 4 coins du monde accoururent au palais pour y découvrir l’extraordinaire fleurs aux précieux pistils.

C’est donc ainsi que le secret de la potion du bien-être perdura et que de nos jours nombreux sont encore ceux qui profitent de ses bienfaits.

Fin